"Bien beau disque que celui de Dorothée Mields consacré aux Love's Madness, car le titre est un peu trompeur, c'est bien autour de Purcell que s'articule le programme, mais il propose également des Songs de Robert Johnson (notamment le célèbre "Full fathom five") ainsi que des Folksongs également connues (le "Willow song" et "The Three ravens" par exemple) ou moins connues des français ("Bedlam boys", "The cruel mother").
Ces morceaux de désespoir et de folie (causées par l'alliance love + mad, ou plus exactement amour désespéré) sont entrecoupés de pièces instrumentales de Matthew Locke (le "Curtain tune" de The Tempest), de Purcell ainsi que de pièces instrumentales traditionnelles.
Les morceaux de Purcell choisis sont peu connus et encore moins courus par les interprètes. Ils sont reliés à l'expérience que fut sans doute pour le compositeur la visite de Bedlam, l'asile de fous de Londres en cette époque, qui a inspiré nombre de compositions philosophiques comme musicales aux anglais
L'interprétation de Dorothée Mields est remarquable, pleine de sûreté, avec une retenue qui est ici à considérer comme une qualité, comme une humanité humble devant la musique et son propos, ici il y a de sa part une vraie empathie directe, ce n'est pas faussement recherché comme chez nombre de sopranos, c'est vrai et recueilli devant la douleur provoquée par l'amour et la folie.
La Lautten Compagney Berlin est composée d'excellents continuistes, les pièces orchestrales et les Songs à instrumentation réduites le montrent. Mais ils sont tout de même plus que des continuistes, ils font partie des meilleurs instrumentistes anciens allemands aujourd'hui. Le théorbiste et chef d'orchestre Wolfgang Katschner mène des lectures assumées et en phase avec les qualités de sa soliste évoquées plus haut.
On pourra cependant regretter une certaine sécheresse instrumentale sur le "O Solitude" de Purcell, qui n'est soutenu que par un orgue assurant le ground (basse obstinée) avec une certaine mécanicité.
Le reste du temps, les instrumentations sont fidèles à la tradition et fort bien emmenées. Sur le "Willow song", on a pensé au pendant français, les chansons traditionnelles anciennes, et notamment à l'enregistrement de Vincent Dumestre avec son Poème Harmonique et Claire Lefiliatre, ce qui n'est pas un mince compliment pour Mields et ses partenaires. Comme Claire Lefiliatre, Dorothée Mields possède un timbre propre et particulier, qui fait aussi un malheur dans Bach (on a pu l'entendre avec Philippe Herreweghe), et elle est accompagnée par des instrumentistes défendant passionnément ce répertoire traditionnel o combien riche vocalement et instrumentalement.
Finalement, à travers la tradition des "Mad songs" (chansons de désespoir causées par l'amour), les quelques pièces de Locke (un des maîtres de Purcell) et de Johnson (son presque contemporain), c'est à un dialogue fécond entre Purcell et la tradition que nous convient Mields, Katschner et la Lautten Compagney Berlin ... Dialogue qui s'achève par le "When iam laid in earth" de Didon dans le Dido and Aenas de Purcell, de la tradition à l'opéra ...
Suit le chœur final dont nous est seulement donnée la version instrumentale, mais cela n'entache nullement la lecture de Katschner, qui est ainsi cohérente avec l'objet de son disque, le recueillement est plus présent que jamais, la musique se dirige vers le silence, silence qu'elle ne brise pas mais qu'elle aide à comprendre, comme elle aide à saisir la mort à travers ce même silence.
Influences de tonalités historiques sur Purcell donc, Purcell qui gagne ainsi à être replacé dans son siècle et dans la tradition influençant la contemporanéité de ce dernier.
Un disque intitulé "Purcell love songs" a également paru chez Carus avec les mêmes interprètes. Il est tout à fait aussi indispensable !" (Luis Cajaroy)
CD : Carus (2012)
Qualités Artistiques : 4.5/5
Qualité Enregistrement : 4/5